Yann Furic
B.B.A., M. Sc., CFAMD
Gestionnaire principal, répartition d’actifs et stratégies alternatives
Le 12 mai 2025, les représentant américains et chinois ont convenu de réduire le taux des tarifs à 30 % pour les importations aux États-Unis et à 10 % pour les importations en Chine, et ce, pour une période de 90 jours. L’accord sous-entendait l’autorisation de la part des autorités gouvernementales chinoises d’une reprise des exportations de minerais rares. Cet aspect de l’entente tarde cependant à se concrétiser, ce qui met la pause tarifaire en péril.
Lors de la rencontre des deux parties à Londres, le 9 juin, une entente de principe a été conclue selon laquelle les importations chinoises aux États-Unis seront taxées à un tarif moyen de 55 %, alors que les importations américaines en Chine seront assujetties à une taxe de 10 %. Les négociations doivent se poursuivre concernant d’autres enjeux.
Nouvelle incursion dans le labyrinthe des tarifs
Le 31 mai, le président américain a annoncé une hausse à 50 % des tarifs sur l’acier et l’aluminium importés. La nouvelle a été accueillie très négativement par l’industrie canadienne.
Depuis le 2 avril, les marchés attendent les résultats des négociations entourant les tarifs.
Pourquoi l’incertitude nuit-elle aux économies?
Le niveau élevé d’indécision ralentit les dépenses des entreprises et possiblement celles des consommateurs.
Dans le cas des entreprises, l’incertitude quant aux taux des tarifs peut ralentir les investissements même s’ils sont faits dans l’optique d’augmenter la production aux États-Unis, ce qui est paradoxal.
À titre d’exemple : une entreprise manufacturière américaine qui a recours à l’automatisation pour rehausser sa productivité, pourrait devoir commander des robots industriels fabriqués au Japon et donc, payer des tarifs. Comme les négociations tarifaires sont toujours en cours, selon le moment où les transactions seront engagées, les tarifs pourraient être, soit supprimés complètement, ou encore réduits, ou même augmentés. Dans un tel contexte, et sans certitude quant au délai des négociations, il est fort probable que cette entreprise reportera sa décision d’investissement à une date ultérieure et non spécifiée.
Considérant cette dynamique décisionnelle, la durée de la guerre tarifaire aura un effet certain sur l’ensemble de l’économie si elle perdure. Le mois dernier, un tribunal fédéral américain a jugé que la loi utilisée pour imposer des tarifs « réciproques » n’était pas respectée et a donc demandé une pause. Par la suite, un tribunal d’appel a réinstauré les tarifs. Cette situation trouvera fort probablement son dénouement dans une décision rendue par la Cour suprême. Quant aux pays qui sont confrontés aux tarifs, ils pourraient, en toute logique, ralentir les négociations en attendant une décision judiciaire.
Il faut aussi tenir compte du fait que, selon sa Constitution, l’administration américaine a toujours la possibilité d’imposer unilatéralement des tarifs, mais le processus de mise en place exige des analyses ainsi que l’appui du Congrès pour les maintenir après 150 jours.
En résumé, un ralentissement des décisions d’investissement pourrait, à court ou moyen terme, causer des gels d’embauche ou des pertes d’emplois, et plonger l’économie américaine en récession.
On pourrait cependant envisager un scénario qui permettrait au gouvernement fédéral américain d’aller chercher des revenus supplémentaires et de réduire l’incertitude qui touche les consommateurs et les entreprises : un tarif uniforme de 10 % serait imposé sur l’ensemble des importations, ainsi que des tarifs plus ciblés sur certains produits spécifiques.
Pendant ce temps, au Parlement canadien
Le gouvernement canadien a annoncé une accélération de ses dépenses militaires pour atteindre une contribution de 2 % de son produit intérieur brut (PIB) dès l’exercice financier 2025-2026. Cette annonce est en lien avec une demande répétée des Américains concernant l’accroissement des dépenses militaires canadiennes au minimum de 2 % requis par l’OTAN. Elle démontrerait l’engagement canadien à remplir ses obligations contractuelles, dans le contexte de la négociation tarifaire Canada–États-Unis.
…. et au Congrès américain
Par ailleurs, le Congrès américain poursuit ses discussions sur le budget et le maintien des réductions d’impôts, malgré un déficit élevé. L’administration américaine voudrait signer ce nouveau budget le 4 juillet, jour de la fête de l’Indépendance américaine. Les négociations sont en cours et plusieurs sénateurs voudraient des réductions importantes des dépenses pour diminuer l’augmentation de la dette. Pour le moment, l’économie américaine et l’emploi se maintiennent.
Il faut garder en tête que le taux d’échéance des obligations du Trésor américain à 10 ans joue un rôle de chien de garde dans la gestion des dépenses et des déficits qui en découlent. Ce taux a dépassé les 4,50 % dans la nuit du 8 au 9 avril (précédant la mise sur pause de la plupart des tarifs pour une période de 90 jours). Le taux des obligations du Trésor à 10 ans sert de référence pour les autres taux d’intérêt et il a un impact sur le financement des entreprises, sur les prêts hypothéquaires et sur le financement à long terme de la dette américaine.
Les marchés oscillent encore entre un ralentissement économique et la probabilité d’une réduction des taux directeurs que la Fed annoncerait en cas de pertes d’emplois, même si l’inflation est encore supérieure aux cibles fixées et l’économie plus vigoureuse qu’escompté. La question des sommes faramineuses engagées dans le déficit budgétaire américain et les intérêts de la dette restent l’ombre noire de ce tableau.
Il faut s’attendre à ce que les marchés naviguent entre le ralentissement économique relié aux tarifs et l’augmentation de l’inflation, ou encore, une économie qui parvient à se maintenir mais qui doit limiter ses dépenses gouvernementales, sous peine de déclencher des taux d’intérêt élevés qui freineront l’économie.
Ce qui a fait bouger les marchés en mai:
- Chute de la fièvre tarifaire lors des pourparlers États-Unis–Chine à Genève.
- Mai 2025 : un mois exceptionnel pour les marchés boursiers américains.
SURVOL DES BOURSES MONDIALES |
||||
Pays |
Indice |
Rendement |
Évolution |
Rendement cumulatif |
Canada |
S&P/TSX |
5,56 % |
|
7,05 % |
États-Unis |
S&P 500 |
5,81 % |
|
3,38 % |
|
Nasdaq |
9,15 % |
|
-5,11 % |
Bourses internationales |
EAEO |
4,09 % |
|
11,73 % |
Pays émergents |
|
3,79 % |
|
3,95 % |
Chine |
MSCI Chine |
2,27 % |
|
8,16 % |
Le rendement indiqué est le rendement total qui inclut le réinvestissement des revenus et des distributions de gains en capital.
Source : Morningstar Direct.
Résultats – obligations canadiennes
L’indice des obligations universelles FTSE Canada, regroupant les obligations, a affiché un rendement positif de 1,38 % depuis le début de l’année (au 31 mai 2025).
Source : Morningstar Direct.
Notre analyse des évènements
Taux directeurs
- Lors de l’annonce du 7 mai, la Réserve fédérale américaine (Fed) a gardé ses taux à leur niveau actuel. Les retombées inflationnistes de la politique tarifaire américaine limiteront sans doute les réductions de taux en 2025. Le gouverneur de la Fed, Jerome Powell, a d’ailleurs mentionné que l’incertitude concernant l’inflation et l’emploi a augmenté. Les marchés espèrent l’annonce d’une baisse de taux lors de la prochaine rencontre de la Fed le 18 juin.
- Au Canada, le taux directeur est toujours à 2,75 % et l’inflation s’est maintenue dans sa fourchette cible. L’incertitude concernant l’imposition de tarifs par les États-Unis pourrait modifier la politique monétaire et mener à des baisses de taux supplémentaires. Présentement, les marchés anticipent une autre baisse de taux en 2025.
Situation de l’emploi
- Aux États-Unis, la création d’emplois a été plus élevée que prévu en mai, avec 139 000 nouveaux travailleurs face à des attentes de 126 000. Encore une fois, les données du mois précédent ont été révisées à la baisse. L’inflation salariale est encore trop élevée à 3,9 %, comparativement à l’année dernière. Le taux de chômage est stable à 4,2 %, alors que le nombre moyen d’heures travaillées est resté stable.
- Au Canada, un gain de 8 800 emplois en mai a surpassé de loin les attentes d’une perte de 10 000 travailleurs. 57 700 emplois à temps plein ont été créés, alors que 48 800 emplois à temps partiel (principalement des travailleurs engagés pour la tenue des élections fédérales) ont été perdus. Malgré tout, le taux de chômage a augmenté de 0,1% pour passer à 7,0 %. La croissance des salaires, sur une base annuelle, est à 3,5 %, dépassant les attentes de 3,2%.
Inflation
- Au Canada, le taux d’inflation annuel s’est établi à 1,7 % pour le mois d’avril, en baisse de 0,6 % face au mois précédent (2,3 %), le congé de TPS durant la période des Fêtes et la réduction de la taxe carbone rendant la donnée moins fiable. Aux États-Unis, le taux d’inflation annuel a diminué de 0,1 % pour atteindre 2,3 % en avril. Cette donnée reflète l’état de la situation avant l’impact réel des tarifs.
Éléments à considérer pour les prochains mois
- La réduction de la règlementation dans divers secteurs d’activités aux États-Unis devrait permettre de maintenir la croissance économique et de favoriser l’investissement. Cette tendance à la déréglementation devra être suivie par d’autres pays, comme le Canada, au risque d’une perte de compétitivité.
- Une guerre commerciale soutenue par l’utilisation de tarifs sans discrimination pourrait causer un ralentissement économique et augmenter l’inflation. Cette situation se rapprocherait d’un épisode de stagflation, le scénario économique le plus négatif.
- Tous les scénarios inflationnistes qui auraient pour conséquence de conserver les taux d’intérêt pour les échéances de cinq à dix ans à des niveaux élevés seront à éviter puisqu’ils ralentiraient les investissements des entreprises et le rapatriement des chaînes de production aux États-Unis.
- L’incertitude géopolitique continuera d’être présente : guerre Russie-Ukraine, conflits régionaux au Moyen-Orient, tensions entre les États-Unis et la Chine, annexion possible de Taiwan par le gouvernement chinois et tensions entre l’Inde et le Pakistan.
Indicateurs économiques
Indice global des directeurs d’achats
Les indicateurs du segment manufacturier sont en baisse, près des deux tiers des trente pays qui le composent affichant un indice inférieur à 50 (contraction). Le segment des services continue de se maintenir et reste vigoureux.
Taux d’inflation
Sur une base globale, l’inflation diminue et continue d’évoluer dans la bonne direction, mais sa vitesse de décélération faiblit toujours. Il semble de plus en plus évident que les banques centrales n’effectueront pas le même nombre de coupures de taux qu’anticipé il y a quelques mois. En 2025, l’imposition de tarifs à l’échelle mondiale et sans discrimination par l’administration américaine pourrait créer des pressions inflationnistes.
Taux directeurs au Canada, en Europe et aux États-Unis
Les taux d’intérêt sont à la baisse depuis quelques mois maintenant, mais les craintes d’une reprise de l’inflation aux États-Unis pourraient les limiter. A l’opposé, le Canada et l’Europe font face aux menaces tarifaires et leur inflation, plus faible, permet à leurs banques centrales de maintenir leurs taux ou de les abaisser encore.
Nos vues tactiques
En mai, nous avons augmenté la pondération des actions dans la stratégie de répartition tactique.
Aux États-Unis, nous avons augmenté notre pondération en actions et notre positionnement dans les titres de croissance de grandes capitalisations qui réagissent positivement à une stabilisation des taux d’intérêt et dans ceux qui ont un historique de croissance des dividendes qui sont plus défensifs.
Dans la composante revenu fixe, nous avons réduit la pondération des obligations et maintenu leur qualité en ne détenant que des obligations gouvernementales canadiennes et hors des États-Unis.
Nous continuons de privilégier les titres dans les pays développés et la gestion des risques.
Pour savoir comment nos fonds se sont comportés :
Gestionnaire principal, répartition d’actifs et stratégies alternatives
Source des données : Bloomberg
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