Alors que les informations concernant les conseils financiers circulent abondamment sur différentes plateformes, il nous semblait tout indiqué d’avoir une discussion ouverte avec deux dirigeants de l’Institut de planification financière : Chantal Lamoureux, présidente-directrice générale et secrétaire, et Bernard Fortin, président du conseil pour un second mandat et également vice-président, Gestion privée, chez Financière des professionnels (fdp Gestion privée).
Nous les avons interrogés sur l’évolution de la profession de planificateur financier et sa valeur ajoutée pour un professionnel, un travailleur autonome ou un entrepreneur.
La profession a été créée pour répondre à un besoin de conseils et d’encadrement financier. À l’un de vos derniers congrès, vous avez fait part d’une intention de la faire évoluer…
C.L. Ce qui nous a motivé au départ était un grand besoin d’encadrer la profession, d’assurer que les gens possèdent le niveau de compétence requis pour bien accompagner leurs clients. On mettait l’accent sur l’aspect très technique avec les domaines d’intervention : la protection, l’assurance, les placements, la fiscalité, les aspects légaux. C’est toujours aussi important mais, avec l’arrivée des technologies, on est ailleurs. Acquérir les compétences techniques, travailler avec la technologie, oui, mais surtout travailler avec l’humain.
B.F. Le mandat de la profession n’a pas changé : il est toujours d’amener une personne à une destination qu’elle se donne, sauf que les destinations ont évolué et les besoins des gens aussi. Nous avons dû nous adapter. Le savoir-être est devenu un incontournable parce que comprendre l’humain demande énormément de doigté. Le décor a également changé : le nombre de planificateurs financiers, la place qu’ils occupent dans leur institution et la valeur reconnue du plan financier.
Le planificateur financier répond-il toujours à ce besoin?
B.F. À une époque, on traitait chacune des dimensions de la planification séparément. Mais il n’y avait pas de vision globale. L’industrie a réalisé qu’on ne peut pas parler d’assurance ou de fiscalité sans parler aussi de placements, parce que tous ces domaines sont reliés et qu’il est essentiel d’avoir une approche intégrée. Tout comme un orchestre doit avoir un chef pour le diriger et jouer en harmonie, les différents aspects de la planification doivent être en symbiose et « se parler » grâce à la coordination d’un planificateur. Il faut livrer une prestation globale.
Y a-t-il encore une incompréhension sur la valeur réelle du planificateur financier?
C.L. De nombreuses recherches ont prouvé la valeur ajoutée de la planification financière, dont une récente du Financial Resilience Institute, qui démontre que les gens qui ont un plan financier et travaillent avec un planificateur financier ont un niveau de résilience financière beaucoup plus élevé, peu importe le niveau de revenu. La résilience financière, c’est avoir la capacité de continuer à faire face à ses obligations financières, peu importe les coups durs qui arrivent et qu’on ne contrôle pas. C’est pouvoir continuer à payer son hypothèque ou son loyer même s’il y a des défis d’inflation, de taux d’intérêt, de marchés, même s’il y a de la maladie ou qu’on perd son emploi. Dans une société, plus les gens sont résilients individuellement, plus l’économie de cette société-là sera résiliente. Cette étude est très intéressante parce qu’elle touche toutes les tranches de revenu. Personnellement, je n’ai jamais connu quelqu’un qui ait dit : « Moi, je suis allé voir un planificateur financier et j’ai perdu mon temps! » Au contraire, c’est plutôt : « Si j’avais su avant! »
Quelle est la qualité professionnelle la plus exigeante à acquérir?
B.F. Les planificateurs sont généralement formés dans des écoles de finance ou d’administration et l’acquisition de connaissances techniques se fait assez facilement. Par contre, il y a deux éléments sur lesquels les écoles offrent moins de formation. Le premier, c’est la capacité d’intégrer plusieurs dynamiques simultanément. Les disciplines sont étudiées individuellement (droit, comptabilité, marketing…), mais un planificateur financier doit toutes les intégrer, comme un chef d’orchestre doit être formé à entendre plusieurs instruments. Et cette capacité n’est pas innée, elle doit être construite et évaluée par un examen.
Le deuxième élément, c’est l’humain. Les planificateurs financiers sont habituellement diplômés de facultés de droit ou d’administration, mais ils doivent être capable de bien comprendre la personne, leur cliente ou client, et aussi de rendre accessible un langage complexe, le langage de l’industrie. Vulgariser ne s’apprend pas dans les universités, mais c’est essentiel pour qu’un client comprenne, intègre l’information et passe à l’action.
C.L. J’ajouterais aussi que l’argent reste l’un des derniers sujets tabous dans notre société. On se parle de beaucoup de choses, mais quand vient le temps de parler de stress financier et de finances, on évite le sujet. Les gens glanent des informations à gauche et à droite, sur Internet… Un planificateur financier doit aider son client à comprendre toutes ces données et à gérer ses émotions parce que l’aspect financier, c’est rempli d’émotions et c’est aussi lié à nos valeurs.
Un planificateur financier peut-il être d’une grande valeur pour les travailleurs autonomes?
C.L. C’est important pour tout le monde, mais dans le cas des travailleurs autonomes, leur capacité de gagner leur vie est essentielle. Ils manquent de temps, ils sont pris par leur entreprise et leurs affaires, mais je pense que parler à un planificateur financier est un des très grands cadeaux qu’ils peuvent s’offrir. Leur entreprise, c’est leur passion, leur bébé, mais ils doivent se protéger, ils doivent protéger leur capacité de gagner leur vie.
B.F. Cette question amène un autre volet de l’évolution de la profession, qui est la spécialisation. L’Institut de planification financière a développé un programme de spécialisation, car il y a des types de clientèle pour lesquelles un planificateur financier a avantage à se spécialiser. Je peux faire une analogie avec un problème médical : un sportif qui requiert des traitements de physiothérapie a tout intérêt à consulter un physio qui traite habituellement des sportifs. Le même principe s’applique aux travailleurs autonomes : ils devraient faire appel à des planificateurs financiers qui connaissent leur réalité parce que celle-ci est complexe.
Ces clientèles particulières posent-elles un défi à un planificateur financier?
B.F. C’est toujours le paradoxe de la capacité. Si je reviens à mon exemple de physio, plus un médecin passe de temps à comprendre chaque patient, moins il peut en traiter. Par exemple, si un pharmacien qui veut devenir propriétaire s’adresse à un planificateur financier qui ne connaît pas sa profession, ce planificateur va d’abord devoir comprendre la réalité de son client pour pouvoir lui donner des conseils adaptés. Par contre, s’il s’adresse à un planificateur financier qui est déjà au courant des enjeux de sa profession, ça simplifie énormément les choses.
C.L. J’ajouterais, pour poursuivre l’analogie du chef d’orchestre de tout à l’heure, qu’un entrepreneur ou un travailleur autonome a besoin de s’entourer de plusieurs spécialistes : comptable, avocat, fiscaliste… Et c’est là où se manifeste la valeur qu’apporte le planificateur financier : l’aspect intégré, parce qu’il tient compte non seulement des besoins de l’entreprise, mais aussi de ceux de l’individu, de sa famille.
À l’âge de la retraite, plusieurs professionnels doivent penser au transfert de leur entreprise…
C.L. C’est un grand projet qui prend plusieurs années et qui demande beaucoup de réflexion : qu’est-ce que je veux et que je ne veux pas, quelle est la valeur de mon entreprise, que vais-je faire ensuite? De nombreux entrepreneurs ne connaissent même pas la valeur réelle de leur entreprise! Ils pensent qu’elle financera leur retraite, mais ils n’ont pas les données nécessaires pour savoir si leur approche est réaliste… Il y a tellement d’éléments à prendre en considération… Un planificateur financier peut aider un travailleur autonome ou un entrepreneur à définir ses objectifs et à bâtir un plan, mais ça prend du temps.
B.F. Il faut aussi réaliser qu’un transfert d’entreprise est un geste irréversible. Pour que ce transfert se fasse dans des conditions optimales, il faut bénéficier du meilleur écosystème sur lequel s’appuyer : c’est fondamental. Un dentiste, un pharmacien, un architecte passe sa vie à bâtir sa pratique. Et il faut réfléchir au transfert d’entreprise tellement d’années à l’avance parce que les décisions à prendre pourront influencer le moment de la vente, la façon dont la transition se fera… En travaillant avec un planificateur financier, celui-ci pourra déjà commencer à préparer certains éléments de terrain pour prendre de bonnes décisions.
En début de carrière, les jeunes comprennent-ils le rôle du planificateur financier?
B.F. Je constate que les jeunes ont besoin de conseils et d’encadrement financier. Évidemment, il y a la question de notre capacité à s’assurer que tout le monde y ait accès. Nous sommes 5000 planificateurs financiers au Québec et comme Chantal l’a mentionné, une fois que tu as fait affaire avec l’un d’entre eux, tu veux poursuivre l’expérience!
C.L. Beaucoup de jeunes voyaient peut-être les planificateurs financiers comme n’étant nécessaire qu’à la retraite. Mais la perception a changé : un planificateur financier peut aussi te conseiller pour acheter une maison ou pour passer de salarié à entrepreneur… Et les jeunes, ils ont un avantage : ils ont le temps de leur côté. Plus tu commences jeune, ne serait-ce qu’à comprendre certains concepts de base comme les intérêts composés, meilleures seront tes chances de réaliser tes objectifs!
À partir de quel âge un planificateur financier devient-il une valeur ajoutée?
B.F. Pour moi, c’est à l’université parce que c’est là où l’endettement commence. De nombreux étudiants finissent leur parcours universitaire très endettés parce que certains parcours peuvent être onéreux, comme la dentisterie ou certaines spécialités médicales. Un planificateur financier peut aider à gérer l’amplitude de la dette et à intégrer ce passif dans la vie active du jeune professionnel, dans ses ambitions de carrière, sa vie personnelle… Pour les étudiants qui deviendront travailleurs autonomes, c’est très important : ils devront gérer leur entreprise en tenant compte de ce passif, mais ils doivent aussi commencer leur vie personnelle. Un planificateur financier peut leur simplifier la tâche.
Quels sont les éléments les plus importants du plan financier?
B.F. Un plan financier, c’est une façon structurée de guider une personne vers la réussite. Je peux le comparer à un plan de voyage : je vais me créer une carte routière pour m’indiquer le parcours à suivre, mais une fois en route, je dois aussi tenir compte de la réalité qui, elle, n’est pas statique : congestion routière, fermeture de route… il faut être prêt à faire les ajustements requis pour compléter le voyage dans l’horizon temporel qu’on s’est fixé. Un plan financier, c’est donc une façon structurée, agile et flexible d’aborder une destination.
C.L. J’ajouterais que plus le plan est personnalisé, plus il a de chance de réussir. Avec son planificateur financier, chacun peut regarder les différentes options et les façons d’atteindre ses objectifs, et ensuite prendre une décision. Le meilleur plan, c’est celui qu’on met en œuvre, auquel on adhère et qui nous amène où on veut aller.
À la base, il doit y avoir une relation de confiance entre les personnes…
C.L. La profession de planificateur financier est très encadrée, mais dans le rapport entre les personnes, c’est effectivement le filtre humain qui entre en jeu. Entre un planificateur financier et son client ou sa cliente, une relation à long terme va se développer. C’est donc important de pouvoir dire : quand cette personne m’explique des choses, je comprends, je suis à l’aise et je sens qu’on communique. L’aspect humain, l’expérience vécue est très importante.
B.F. Il y a un lien très fort entre la qualité de conseil qu’un planificateur financier peut donner et l’ouverture de son client ou de sa cliente, sa disponibilité à partager l’information nécessaire. Plus l’information circule facilement et meilleure sera la qualité du plan ou du conseil.
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